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Articles

L’imagination déconfinée

« Refaire société autrement», « changer d’avenir », les propositions abondent depuis quelques jours. La période est extra-ordinaire et, malgré l’angoisse vertigineuse que j’ai de perdre les êtres qui me sont les plus chers, je parviens moi aussi à éprouver le désir de changement que je constate depuis quelques jours sous les plumes inspirantes de collègues, ami∙es ou journalistes.  Ce confinement et le privilège que j’ai de pouvoir en profiter (je ne subis pas de violences patriarcales, seulement l’alourdissement de mes tâches de  care ) m’amènent à rêver à la fin d’un autre confinement qui dure depuis plus longtemps encore, celui de mon imagination. Parce que le matin, j’entends les oiseaux chanter au lieu d’entendre le bruit des avions et parce que le Bois de la Cambre est désormais fermé au trafic et que je peux y apprendre à mon enfant à rouler à vélo, j’aspire à plus d’espaces publics, de silence et d’air pur et je ne comprends pas que je m’en sois laissé...

Uchronie

Je me réveille avec ton dos contre le mien. On bouge un peu, on se retourne, la journée débute. -         Hey... -         Hey… -         Bien dormi ? -         Bof. -         Pareil. -         Bon… On va déjeuner ? -         On ne se ferait pas un café d’abord ? C’est tous les jours le jour de la marmotte, chaque matin le générique de  Westworld  débarque dans ma tête. On se fait un café, et puis un deuxième. Côte à côte à cette table de bar sur laquelle on mange notre déjeuner du bout des lèvres, ton coude touche le mien. Dans une autre version, moi dans le salon, toi dans la chambre, on boucle les bagages pour ces vacances qu’on attendait depuis des mois. -       ...

Craquelées

Mains craquelées, ongles cassés, pantalon informe. Je regarde mes mains sur le clavier. Elles n’ont presque plus d’âge. Le temps, je ne sais plus. Quel vertige lorsque l’on est habituée à tout anticiper, tout angoisser d’avance. Collusion du réel sur ma petite vie personnelle. Et au milieu, ce corps, ce corps féminin, lieu originaire de batailles, de luttes pour apprendre à m’y faire. La première fois que j’ai senti une sorte de libération de ce corps, correspondant paradoxalement à un ancrage tout à fait inédit pour moi, fut l’après accouchement.  Mon regard sur moi avait changé. Je me regardais, quelque chose d’étonnamment juste m’apparaissait. Un visage et une enveloppe charnelle, comme un tout. Plus d’analyse du détail, plus de recherche de l’imperfection, plus d’impression d’agencements incongrus. Un être là comme ça, en écho face à moi. Cela m’a étonnée à l’époque. Mon combat pour devenir mère m’avait fait mal, partout : un an et demi pour les premiers re...

Le besoin d’intimité

Quand je demande comment se passe le confinement autour de moi, des personnes confinées seules, avec des ami·es ou en famille me répondent « je vais bien, mais j’ai besoin de câlins, d’affection ». En somme, d’intimité. Je réalise que dans la vie quotidienne, avant que ce confinement soit annoncé, la plupart des personnes n’exprimaient pas leurs besoins d’affection, moi comprise. Au début de ce confinement, ce n’était pas le manque d’affection que les personnes mentionnaient, ils/elles mentionnaient plutôt leur libido. Ils/elles ne savaient pas comment faire pour passer des semaines sans pouvoir avoir de relation sexuelle. C’était source d’angoisse. Une fois confiné·es, il n’y avait plus qu’une personne pour combler cette angoisse, ce besoin qu’on pensait uniquement sexuel : nous-mêmes. Comment fait-on pour pouvoir se procurer du plaisir sexuel en tant que femme, sans partenaire, dans une société qui a considéré pendant longtemps la masturbation féminine comme une p...

Du brocoli et des hommes

Liste dûment complétée glissée dans la poche arrière, attestation recopiée soigneusement dans le sac, datée et signée, heure de sortie mentionnée. Masque de fortune autour du cou, prêt à être remonté. Sacs cabas à la main, la panoplie des confiné·es est prête. Starter pack quarantaine. Me voilà parée pour LA sortie de la semaine.  Faire les courses est devenu l’attraction hebdomadaire, le petit plaisir teinté du goût du risque. Frissons le long de l’échine quand on parvient enfin à entrer dans le supermarché après une bonne heure de queue. L’enseigne nous fait de l’œil, l’artifice capitaliste paraît un peu moins laid que d’habitude en ce moment.  À  l’heure où les marchés ont replié leurs étals, la possibilité de consommer local et de saison est franchement déjouée.  On n'a rien connu de plus stimulant depuis cinq jours, fac-similé de la vie en société pré-pandémie. Seul espoir de croiser des jeunes de son âge quand on a la chance de ne pas vivre dans un pa...

Le confinement ou le temps de la déliaison

Depuis quelques semaines, mon esprit est comme englué, pris dans un marasme qui m’immobilise, me rendant presque insensible. Depuis quelques semaines je suis réaffectée comme psychologue au sein des équipes covid de l’hôpital. Jusqu’ici, tout allait bien. Enfin, en apparence, sous le masque (de fortune), entre deux portes, en contact avec des femmes (en grande majorité) (1) qui œuvrent : elles le doivent, c’est leur métier, elles doivent être là. Celles qui n’y sont pas s’en veulent, reviennent et angoissent.  La peur au ventre, tu rentres dans la chambre d’un patient, tu espères que le soin ne prendra pas trop de temps, tu écoutes à la porte avant d’entrer pour savoir où se trouve le patient dans sa chambre, et peut-être pour savoir s’il est toujours vivant. Parfois, tu n’as jamais travaillé en hospitalisation. Toi, tu accueillais les enfants en consultation, les malvoyants en ophtalmologie, le tout-venant au prélèvement. Parfois, tu as un bébé de quelques mois à pein...

Je confine, tu confines, mais pouvons-nous confiner sexuellement ensemble ?

Je suis confinée, comme une partie importante de la population, depuis plusieurs semaines maintenant. Cette situation me laisse sans voix, déconcertée, incertaine. J’observe les chiffres, les controverses, je les lis, mais je ne sais pas quoi en faire. J’admire celles et ceux qui débattent, avec autant de certitudes. Moi, je n’arrive pas à penser, ni sur le monde, ni sur mon monde, ni sur moi-même. À part la conscience d’être une privilégiée, avec un environnement familial plutôt serein, avec un salaire qui tombera à la fin du mois, avec une maison qui laisse à chacun·e son espace, avec un jardin. Je n’ose pas me plaindre et je ne le ferai pas.  Micro-tâches Je me concentre sur des micro-tâches : préparer à manger, aider tel enfant à faire son devoir, tel autre à mettre son pantalon, regarder mes mails, lancer une machine, prendre une douche, répondre laconiquement à mes mails, « non je ne sais pas où  tu  as mis ton cartable », se rendre compte q...

J’ai déjà été confinée

J’ai déjà connu une sorte de confinement, ce qui donne à celui d’aujourd’hui une saveur particulière. Durant une période extrêmement difficile pour moi du point de vue de la santé mentale, j’étais terrifiée par le monde extérieur et je ne sortais que pour les biens de première nécessité. Par ailleurs j’étais au chômage et je passais donc le plus clair de mon temps enfermée chez moi. D’une certaine façon, j’ai alors vécu quelque chose comme trois mois de confinement. Si cette situation passée se compare à celle d’aujourd’hui par l’enfermement à domicile, la ressemblance n’est que superficielle. A l’époque tout d’abord, les rares sorties étaient une source d’angoisse presque intolérable. Aujourd’hui, je chéris ce moment où, tous les quelques jours, je sors faire les courses. Dans mon couple, nous discutons régulièrement des tâches ménagères, nous échangeons en particulier sur leur répartition. Par curiosité, je me suis demandé un jour ce que les scientifiques disent sur la façon do...

Cis à la maison

“7th Heaven”,  ça vous dit quelque chose ? Cette série américaine, modèle de la famille cis-hétéro-patriarcale blanche et aisée comme il se doit a peut-être bercé votre adolescence. Et vraisemblablement elle a agi pour moi de façon inconsciente bien des années plus tard. Ahhh la toute puissance de l’ American way of live  couplée à l’impact des médias, combo gagnant. À côté, la famille Ricorée peut aller se rhabiller… pour faire bref, le père de famille est pasteur et la femme du révérend, comme on l’appelle, est mère au foyer et gère avec brio une tribu de cinq enfants auxquels s’ajouteront des jumeaux qui naîtront quelques années plus tard le jour de la Saint-Valentin (ça ne s’invente pas !). Si je vous plante le décor, c’est qu’après mon divorce, j’ai refait ma vie et nous nous sommes retrouvés  « Sept à la maison » -  comme la bien-nommée série (in French of course), ça y est, vous voyez où je veux en venir - et je tentais inconsciemment de ...