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Cis à la maison

“7th Heaven”, ça vous dit quelque chose ? Cette série américaine, modèle de la famille cis-hétéro-patriarcale blanche et aisée comme il se doit a peut-être bercé votre adolescence. Et vraisemblablement elle a agi pour moi de façon inconsciente bien des années plus tard. Ahhh la toute puissance de l’American way of live couplée à l’impact des médias, combo gagnant. À côté, la famille Ricorée peut aller se rhabiller… pour faire bref, le père de famille est pasteur et la femme du révérend, comme on l’appelle, est mère au foyer et gère avec brio une tribu de cinq enfants auxquels s’ajouteront des jumeaux qui naîtront quelques années plus tard le jour de la Saint-Valentin (ça ne s’invente pas !). Si je vous plante le décor, c’est qu’après mon divorce, j’ai refait ma vie et nous nous sommes retrouvés « Sept à la maison » - comme la bien-nommée série (in French of course), ça y est, vous voyez où je veux en venir - et je tentais inconsciemment de rejouer certains épisodes avec plus ou moins de succès vous vous en doutez. Comme il se doit, le pasteur de la série a cédé à la tentation et fut accusé d’agressions sexuelles sur mineures, façon de ne pas parler de pédophilie…

Pour tout vous dire, le Covid-19 a fait voler en éclat les dernières prétentions qu’il me restait en matière d’idéal familial mais on ne peut pas ressusciter un moribond alors chacun·e reste confiné chez soi, en micro-cellule.

Lundi 10h : je viens de déposer les garçons (ma micro-cellule !) chez leur père et je flâne sur le retour : libre, enfin libre ! Passage de témoin au parent numéro 2 et comme toujours, un vague sentiment de culpabilité vite estompé par la multitude de choses à faire et mises en stand-by pendant ma semaine « de garde ». Après quelques hésitations, je décide de faire quelques achats superflus (lire achats d’ameublements complètement inutiles). À peine garée, le portable vibre et déjà mon aîné s’agite « au bout du fil » : « faut que tu ailles faire tes courses et blindes le frigo », papa vient de me dire que ce sera confinement d’ici 48h, c’est sérieux… Mon aîné c’est le gars assez cool, 17 piges au compteur, flegmatique alors quand il me presse d’aller m’approvisionner, je suis assez perplexe. Néanmoins un vague sentiment d’inquiétude me pousse à obtempérer.

Lundi 11h : je décide d’entreprendre une virée au C*** du coin, les caddies s’entrechoquent, se cognent, crissent comme s’ils étaient en pole position sur la ligne de départ. Déjà les rayons font la grise mine : plus de pâtes, d’œufs, de farine, de café,… le PQ quant à lui est aux abonnés absents depuis le week-end (je ne reviendrai par sur cette polémique) mais qu’à cela ne tienne, j’ai de la litière pour le chat et au risque de lui déplaire, faudra peut-être partager ! L’ambiance est assez tendue je dois dire et les gens se regardent de façon suspicieuse, des files commencent à se former et moi, je commence à râler au vu de la tâche qui sera la mienne les jours voire les semaines à tenir… Put***, voilà que je me retrouve confinée dans le rôle de la mère nourricière alors que Monsieur « bosse dehors », un comble pensais-je en entassant mes courses dans la bagnole !

Mercredi midi : début du confinement, je télétravaille depuis lundi vêtue de mon inénarrable training/sweat-shirt. La maison est silencieuse et le chat entreprend de faire un rapide tri de ma boîte mails en s’asseyant majestueusement sur la touche DELETE l’air narquois. Un appel vient interrompre ce face-à-face, ma sœur en visuel, qui se plaint qu’elle a déjà pris 2 kg depuis le début de la semaine, qu’elle attend le retour salvateur du compagnon parce qu’il faudrait tondre la pelouse et couper les haies parce que « tu comprends c’est quand même un travail de mec ça ! » alors qu’elle s’apprête à enfourner les cookies homemade pour les zhômmes (son compagnon et son fils) qui vont travailler dehors d’arrache-pied (j’avoue c’est un peu le remake de la « Petite maison dans la Prairie ») pour finir sur une ultime réflexion : « mais qu’est-ce que t’as encore fait à tes cheveux ? On dirait une nonne, tu pourrais pas un peu prendre soin de toi ? Être un peu plus féminine ? prendre du temps pour toi (parce que là c’est l’occase hein, tu vas en avoir du temps…) ? Et il dit rien ton mec que tu coupes comme ça, sans rien lui dire ? » Pas le temps de répondre, qu’elle raccroche déjà de peur de cramer les cookies sûrement. Au final, ma sœur est confinée depuis bien plus longtemps qu’elle ne le pense.

Pour me changer les idées, je décide de me connecter sur les réseaux sociaux et là, j’avoue, c’est le carnage car entre les tutos, chaînes YouTube et les apps qui te proposent des cours de yoga (en live) histoire de prendre soin de ton corps, traduire pour ne pas (trop) grossir et rester zen alors que tu jongles entre télétravail et les révisions du CEB du petit dernier tout en lisant un post qui t’explique « comment occuper ses enfants à la maison pendant cette période de confinement, les 1001 astuces, spécial maman ». Bref, c’est sûr qu’après la journée, j’aurai sûrement besoin de me connecter à « Petit Bambou »…

Comme un bonheur n’arrive jamais seul, nouvel appel (à l’aide) de ma belle-sœur qui souhaiterait occuper non pas le petit mais les grands enfants qu’ils sont devenus : « Heu… t’aurais pas des jeux de sociétés pour adultes, me précise-t-elle, par hasard ? ». Sûrement, je regarde ça et je te rappelle. Histoire de prolonger la conversation et prenant mon nouveau rôle de mère presque parfaite très à cœur, je pose la fatidique question du menu pour le soir à venir. Sa réponse fuse : « purée, saucisses et haricots pirates ». Je me gratte la tête quelques secondes et avouant mon ignorance je lui demande quelle est cette nouvelle variété. « Bin c’est ton neveu, il refuse de manger des haricots princesses parce que c’est pour les filles alors je lui prépare des haricots pirates ! ». Là j’ai juste envie d’éclater de rire et je me dis qu’elle me cherche comme on dit mais non, elle continue tout aussi sérieusement « bon, salut, je te laisse, ton frère va arriver ». Des remarques du genre, j’en ai pléthore et je me demande comment je faisais avant pour ne pas les remarquer ou peut-être suis-je plus sensible maintenant ? Sûrement mais à y repenser, je me dis que j’ai quand même « Une famille formidable ». :-)

PS : toute ressemblance avec des personnes existantes n’est purement pas fortuite.

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