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Affichage des articles du mars, 2020

Fenêtre sur corps et vue sur vide

Ils nous ont dit de nous laver les mains.  Alors je m’applique. Je frotte entre les phalanges comme ils ont montré, jusque sous les ongles, plusieurs fois par jour. À force, ça fait remonter de vieux fantômes et je recommence à avoir envie de le faire tout le temps. Dès que je touche mon copain, l’embrasse, touche la poignée de l’immeuble. Je les lave à m’en faire tomber la peau et retrouve ces gestes que je faisais autrefois jusqu'à l’obsession. Étreindre avec force sous l’eau brûlante, jusqu’à en retrouver le contrôle sur les choses. Plus jeune, il m’avait fallu du temps pour me délester de ces gestes obsessionnels, répétés jusqu’à l’écoeurement.  Désapprendre avait pris du temps et l’angoisse a balayé tout ça d’un coup d’œil. Corps virtuels pour mélodies douces Avec mon amie qui porte le même prénom que moi, on danse. Sur skype, sur la même chanson. On danse jusqu’à en avoir le vertige, à faire vaciller l’image du vieux monde,  leur  monde. Je danse jusqu’à en av

Franchir les limites

  Quand ils ont annoncé la fermeture des écoles, j’ai pensé « ok, mais moi je continue à travailler au bureau. Pas parce que je dois, mais parce que je veux ». Je n'étais pas encore capable d'imaginer autre chose. Je me suis dit que le papa et moi, on allait pouvoir alterner télétravail et bureau deux-trois jours par semaine et que, comme ça, je garderais ma liberté. Je n’ai pas mesuré tout de suite qu’en fait trois jours plus tard, les réunions importantes, ça serait fini, même pour moi. Je me suis retrouvée une fin de semaine collée à la maison, à gérer les enfants seule - parce qu'il avait toujours, lui, des réunions - et à me demander comment j’allais faire, avec un ordinateur, pour mes vidéoconférences et les cours des enfants.   Le troisième jour, j’ai fait une espèce de crise. Je n’en pouvais plus, de ne pas sortir, ce qui était relativement incompréhensible puisqu’en fait, je suis quelqu’un qui sort peu. Casanière. Intellectualiste. Toujours en train de pens

Confinée deux jours à l’avance !

Ce matin-là, je prépare la liste des plats à cuisiner pour ma petite tribu car, dans mon subconscient,  c’est impossible de voyager sans leur laisser des plats (bien sûr faits maison et à réchauffer !). Encore un cadeau de ma socialisation primaire. Cela me fait penser à ce mari sensible à mon stress, à ma peine à finaliser ma thèse, sensible aussi à mes plaintes répétées et mon tempérament de râleuse quand la féministe se réveille en moi, quand je dis que c’est trop, qu’il faut couper court avec cette division de travail rongée par une culture inégalitaire et machiste. Revenons à mes petits plats préparés avec un amour saupoudré d’un sentiment de devoir. Ça m’a pris toute la journée. Une fois tous emballés et les étiquettes collées sur le dessus de chaque boite, je peux enfin me libérer pour ranger les livres dont j’aurai besoin durant ces quelques jours de confinement volontaire. Mes affaires ramassées, livres, ordinateur, vêtements, trousse de toilette, j’attends mon mari, jou

Déjà deux semaines de confinement

Déjà deux semaines de confinement ou, tout du moins, de télétravail comme on appelle ça. A force d’enchaîner les multiples activitées de toute nature, mon mec et moi ne faisions que nous croiser. Au mieux nous étions des colocataires, au pire des amants lassés. Je ne sais pas pourquoi il faut toujours passer par la case aménagement ensemble, celle-là même qui te casse ta libido ad vitam. Le confinement ce n’est pas comme une semaine de congé à la maison, c’est la fin des devoirs mais aussi fortement la fin des obligations. Plus besoin de faire la dixième visite à la maternité en préparant son plus beau sourire, pas même de devoir cuisiner son meilleur gâteau pour la cinquième auberge espagnole de fin d’année, même les enterrements se font à huis clos: pas de quoi en réveiller un mort. Plus aucune longue heure passée à somnoler dans des trajets de train, les rêves s’éveillent à la maison. Pas non plus besoin de faire semblant dans l’open-space. « Tu as un travail, tu dois t’estime

Covid-19 – Chronique d’une féministe aliénée

En général, dans nos sociétés, quand on demande à quelqu’un·e de se définir, il·elle mentionnera son boulot.  - Je suis banquier·ère - Je suis avocat·e - … Prof·fe d’unif, - Artiste  …  Moi, je suis Occupée.  Juste occupée, pas de métier, pas une passion en particulier, non. Seul mon emploi du temps plein à craquer peut me définir correctement.  Entre le cinéma, les conférences, les événements musicaux, les ateliers, les personnes que je dois voir,… je n’ai parfois pas le temps de profiter de mon appart.  Mon appart… J’aime mon appart. Il est magnifique, grand, lumineux. Je le partage avec mon compagnon depuis quelques temps maintenant et je n’aurai pas pu rêver mieux. Je peux passer des heures à le contempler. Il est beau, apaisant. Mon appart, pas mon compagnon. Quoique lui aussi est apaisant et beau à regarder.  La vie entre nous, c’est facile. Assez imprédictible, entre son horaire qui change tout le temps, et mon emploi du temps tout aussi imprévisible. 

Je me nourris de pensées positives

“ Je me nourris de pensées positives .”  Mon téléphone vibre, comme toutes les deux heures. C’est Toobee qui me parle, l’app installée il y a quelques mois après un coup de mou. Depuis, elle me balance chaque jour une phrase  feel good . Ca fait 10 jours que je n’ai pas changé de proverbe. J’ai pourtant que ça à faire, ou presque. La même phrase, pendant 10 jours, toutes les 2h. Ca fait 120 fois que je lis cette même putain de suite de mots et toujours pas de pensée positive à l’horizon. Faut dire qu’il y a une sacrée ombre au tableau et qu’elle prend de plus en plus de place : corona aux infos, corona sur les réseaux, corona dans les conversations privées, corona par la fenêtre des voisins, corona dans la rue.  Corona partout, liberté nulle part . Et dire qu’il y a trois semaines on marchait tou.te.s ensemble en s’égosillant sur des slogans qui avaient de la gueule (et des ovaires). On était fortes, on était fières. Marée humaine de 7000 personnes qui se déversait dans les rues

Attention : hétéros en appartement !

Homme transformant une séance de ménage en ascension alpiniste. Femme portant robe, talons et brushing pour sortir la poubelle. Homme transformant le couloir de l’appartement en couloir de natation. Femme se parfumant pour aller boire un verre dans la cuisine. Homme se mettant une perruque et du rouge à lèvres pour maintenir des rapports sexuels dans son couple en « faisant la femme s’il le faut ». Femme tapant avec une spatule sur son mari qui joue au bowling dans la cuisine. Homme prêt à toutes les options contre celle d’être confiné avec sa femme et ses enfants. Prescription de « Dikommel, Faicommel, Pensecommel, Pifermela » ou « Dikelaraison » pour obtenir la « paix à la maison ». Ces images sont aussi virales sur les réseaux sociaux que le Covid-19 dans nos hôpitaux. Elles font rire les familles. Elles font rire ma famille. Moi, elles ne me font pas rire, ce qui ne serait pas bien grave si elles n’envahissaient pas perpétuellement mon espace-temps, celui que j’ai mis des années

Ça va

Je hais le dimanche, et je ne suis sans doute pas le seul. Je n’arrive pas non plus à trouver une raison qui pourrait l’expliquer. Peut-être est-ce l’ambiance fantomatique régnant dans les rues le dimanche. Peut-être est-ce l’isolation dominicale, les liens sociaux mis sur pause le temps d’une journée. Ou l’oisiveté, une immersion totale qui nous plonge dans la procrastination et nous noie du sentiment coupable qui l’accompagne. Ou peut-être est-ce, au contraire, le fait d’anticiper, dans la précipitation, la venue d’une nouvelle semaine nous rappelant à quel point le temps passe vite. Quoiqu’il en soit, de mon expérience personnelle, une atmosphère morose et fade est attachée au septième jour. Cela fait maintenant un peu plus d’une semaine que chaque jour est un dimanche.  Bonne nouvelle : le monde de la médecine a récemment été bouleversé par une découverte étant relativement porteuse d’espoir. Adam Castillejo est le deuxième porteur du VIH au monde à être en voie de totale rémis

En savoir plus sur ce blog

Le confinement est une expérience unique et parfois angoissante. Le temps est suspendu, les jours se ressemblent et plus personne n’ose remplir son agenda. Les annulations pleuvent, l’incertitude règne. On vit au jour le jour et on habite son quotidien.  Ce confinement est aussi une expérience sociologique sans précédent, notamment dans le domaine du genre et de la sexualité. Cette expérience bouleverse les équilibres plus ou moins précaires sur lesquels nous avions construit nos vies. Certain·es se retrouvent soudainement enfermé·es avec leurs enfants ou leur conjoint·e, d’autres se sentent terriblement isolé·es. L’espace domestique redevient cet espace de danger et d’oppression qu’il a souvent été, le travail domestique et de soin retombe largement sur les mêmes,  quelqu’un doit porter la charge mentale du confinement. La violence, aussi, s’intensifie à l’intérieur des foyers.  Nos vies amoureuses et sexuelles sont radicalement transformées. Finis les coups d’un soir grâce à Ti