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Déjà deux semaines de confinement

Déjà deux semaines de confinement ou, tout du moins, de télétravail comme on appelle ça. A force d’enchaîner les multiples activitées de toute nature, mon mec et moi ne faisions que nous croiser. Au mieux nous étions des colocataires, au pire des amants lassés. Je ne sais pas pourquoi il faut toujours passer par la case aménagement ensemble, celle-là même qui te casse ta libido ad vitam.

Le confinement ce n’est pas comme une semaine de congé à la maison, c’est la fin des devoirs mais aussi fortement la fin des obligations. Plus besoin de faire la dixième visite à la maternité en préparant son plus beau sourire, pas même de devoir cuisiner son meilleur gâteau pour la cinquième auberge espagnole de fin d’année, même les enterrements se font à huis clos: pas de quoi en réveiller un mort. Plus aucune longue heure passée à somnoler dans des trajets de train, les rêves s’éveillent à la maison. Pas non plus besoin de faire semblant dans l’open-space. « Tu as un travail, tu dois t’estimer chanceuse ». Ces huit heures quotidiennes à faire croire que c’est le meilleur travail du monde me lassent et me tuent à petit feu. Ici, en une matinée, le travail est fait - sans chichis - je ne dois pas me freiner pour occuper toute la journée. Un article de Slate, une réponse à un mail, un article de Vice, une réponse à un mail… Ma voisine de bureau observe les arrivées tardives et les départs précoces, c’est beau le contrôle social, c’est beau le présentéisme. Elle a affiché sur son bureau : « Le travail est la moitié de la santé ». Rien ne pouvait mieux coller. Depuis que son mari l’a quittée pour sa psychologue de couple, elle passe son temps à peser et étudier la composition de chacun de ses repas et à se préoccuper de sa santé. Pas une journée ne passe sans une séance de fitness, body pump ou autre joyeuseté du style. Je l’ai inscrite sur Tinder, c’était là ce qui avait fait naître un début de relation, l’assurance qu’elle n’allait pas balancer mes arrivées de plus en plus tardives. Elle n’osait pas, mais maintenant elle attend chaque lundi pour me parler de ces aventures du week-end: l’histoire finit toujours pareil, le candidat est recalé à la fin. Souvent sur un soupçon de manque d’hygiène, alors que tout son environnement blinque tel un sou neuf. Son bureau contraste fortement avec le mien où se meurent une aloé et où des journaux gratuits s’accumulent. Je me dis, à chaque fois que j’arrive, qu’on voit que c’est le bureau d’une personne qui n’a pas son travail à coeur. Sentiment d’imposture. A chaque évaluation annuelle, je pense que je vais être démasquée : moitié anxiété, moitié espoir d’un changement. Mais non, « tout est parfait, continue à donner le meilleur de toi-même ». En attendant je gagne des minutes de vie, des minutes de plein air. Un temps de midi, une pause pipi, rien n’est trop beau pour glâner un peu de soleil. 

Pour le moment, il n’en est plus question. J’ai pu enlever mon masque, je profite de chaque instant, je lis, je prends le soleil, je travaille un peu. Mon mec passe sa journée en visioconférence: les têtes changent de temps en temps mais pas les scripts. « Jean-Pierre, tu dois allumer ton micro, Claudine ça ne fonctionne pas, redémarre ». Pendant ce temps, je m’occupe, je lui fais à manger, je nettoie la maison. Les appartements alentours et les vis-à-vis urbains sont devenus particuliers, toutes les cases sont cochées. Je devais installer des stores partout, la flemme. Souvent, il m’arrive de croiser un regard quand je cuisine ou que je fais la vaisselle. Monsieur D. , de l’immeuble en face, a installé son bureau à la fenêtre. Il est probablement étudiant. Il a l’air beau garçon. J’ai décidé qu’il s’appelait Damien. Ça fait quelques semaines que je soutiens son regard, pour voir un peu comment il va réagir. La distance est quand même assez importante, deux jardins séparent nos cages. Avant le confinement, nous pouvions généralement faire comme si de rien n’était et détourner des yeux. Mais ça c’était avant. Dorénavant les regards sont plus insistants et deviennent des jeux. Quand il est là, je passe dans la pièce du haut, je lui laisse entrevoir un peu de peau. Je me déshabille lentement, il est loin mais je sais qu’il n’en perd pas une miette. L’avantage, c’est que mon corps doit être parfait vu de loin, je n’ai pas un seul complexe. Le soir c’est plus facile : la pénombre et les lampes allumées permettent plus de contraste et de visibilité. Lui même devient plus audacieux de jour en jour. Parfois mon mec en rigole : « Tu peux admirer les pectoraux du voisin », mais souvent il est vissé à son siège, à regarder son ordinateur. D. a une copine mais elle n’est pas tout le temps là, ils ne semblent pas respecter les consignes strictes de confinement. Quand il lui fait l’amour, il prend soin de baisser les stores, j’en suis presque vexée. L’autre fois, j’ai mis ma plus belle lingerie, en dentelle noire. Je me sentais ravissante. Il me semblait voir D. relever la tête de son bureau et se mordre la lèvre ou était-ce mon imagination?  Une chaleur monte en moi, mes pensées ne sont pas claires, le bout de mes seins est extrêmement dur et douloureux. Finalement, je range tout mon attirail et je file prendre une douche froide. Je culpabilise. Les jours suivants, j’ai pris soin de masquer les fenêtres. 

L’ennui me fait perdre la tête : est-ce tromper ? Quand je pense au ridicule de la situation, je me dis que non. D. semble bouder aussi, il travaille moins souvent à son bureau et semble tourner en rond dans son minuscule studio. Les jours sont chauds pour un mois de mars. Un matin, alors que je fais la vaisselle, mon regard croise le sien. Il est insistant. Je pose doucement les assiettes et m’en vais lentement en haut. Mon mec ne lève même pas la tête. Une fois la porte passée, je monte en vitesse. D. s’est levé, il me regarde fixement. Devant la fenêtre de ma chambre, je me tiens debout et commence à enlever mes vêtements. Il voit mes seins. Je le vois enfoncer sa main dans son jeans. Il est plus excitant que jamais. Je me pose sur l’appui de fenêtre et commence à me caresser. Nous n’avons plus de barrières : ni d’âge, ni de pudeur. Nous ne nous lâchons pas du regard. Mes doigts vont et viennent titiller mon clitoris et là c’est le feu, en quelques secondes. J’aperçois son corps, son sexe et j’y vois ce que j’interprète comme un ultime soupir de relâchement. Je sais qu’après le confinement, nous nous croiserons peut-être à l’épicerie du coin, mais nous n’en dirons mot. À situation particulière, secret bien gardé.

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