Ce matin-là, je prépare la liste des plats à cuisiner pour ma petite tribu car, dans mon subconscient, c’est impossible de voyager sans leur laisser des plats (bien sûr faits maison et à réchauffer !). Encore un cadeau de ma socialisation primaire. Cela me fait penser à ce mari sensible à mon stress, à ma peine à finaliser ma thèse, sensible aussi à mes plaintes répétées et mon tempérament de râleuse quand la féministe se réveille en moi, quand je dis que c’est trop, qu’il faut couper court avec cette division de travail rongée par une culture inégalitaire et machiste.
Revenons à mes petits plats préparés avec un amour saupoudré d’un sentiment de devoir. Ça m’a pris toute la journée. Une fois tous emballés et les étiquettes collées sur le dessus de chaque boite, je peux enfin me libérer pour ranger les livres dont j’aurai besoin durant ces quelques jours de confinement volontaire.
Mes affaires ramassées, livres, ordinateur, vêtements, trousse de toilette, j’attends mon mari, jouant au chauffeur, pour me déposer dans mon havre de paix, cette maison de plage isolée où je peux admirer et savourer mon travail sur cette thèse qui peine à finir. Car il faut bien le dire, pour une mère de trois garçons, s’engager dans une thèse de doctorat devient un vrai défi et l’acte et le plaisir d’écrire, rédiger, est souvent un luxe.
Arrivée vers 20h à cette maison, j’ai le cœur léger de bonheur. Comme un enfant qu’on dépose à Disneyland, j’ai hâte que mon mari parte, disparaisse dans sa voiture.
Une fois parti, je me fais un plaisir de déballer mes affaires et de sortir mon ordinateur pour attaquer un chapitre. Je ne suis pas fatiguée, je veille tard et j’écris beaucoup ce soir-là, comme une assoiffée à laquelle on sert de la citronnade au gingembre frais à volonté.
Le lendemain, grasse matinée… pas de responsabilités, pas de petit déjeuner à préparer, pas d’enfants à sortir à l’école… je n’ai que moi-même et je dois bien me gâter un peu.
Ces deux jours passent comme un rêve, je travaille beaucoup et je me permets quelques récréations dans mon petit jardin, telle une écolière, à contempler des arbres fruitiers que j’ai moi-même plantés quelques années auparavant, à regarder une partie d’un film comme une récompense bien méritée. Toutefois, cela ne tardera pas à disparaître, comme le soleil à chaque coucher… ma petite tribu vient passer le weekend !
Je suis vraiment contente de les voir mais je sais qu’avec eux, il faut oublier la thèse et les modifications nécessaires. Je me dis, pour me réconforter peut-être, « pas de soucis ma belle ! Tu vas allonger ton confinement, tu vas rester après leur départ et tu ne bougeras d’ici que quand tu auras bouclé ce travail ».
À 20h ce vendredi, je suis surprise de voir circuler sur les réseaux sociaux un communiqué officiel annonçant la fermeture des écoles pour une durée indéterminée. À ce moment précis, la mère en moi décide, sans réfléchir, de garder ses petits cachés, enfermés auprès d’elle, loin de l’agglomération de Casablanca et loin du nuage noir du covid 19.
Les trois premiers jours du confinement officiel passent très vite, entre les courses, leur stockage et mon chat que je dois ramener près de nous. La famille est au complet : le bruit des enfants, leurs E-classroom et les réunions de mon mari, par visioconférence aussi.
Trouver une place dans ce vacarme incessant relève de l’impossible. Au fil des jours s’impose une lourdeur incompatible avec le charme de cet endroit, incompatible avec l’odeur de la mer, le chant des oiseaux et l’arrivée du printemps. L’ambiance devient pesante, une répétition des mêmes gestes, des mêmes tâches, des mêmes pseudo-plaisirs. Je me demande alors, dans un moment de solitude : qu’est ce qui ne va pas ? Pourquoi se plaindre ? Pourquoi je n’apprécie plus cette pause-café de 17h ? C’est pourtant un moment de plaisir infini, surtout quand l’odeur du cake-choco au four m’envoie un texto ou quand le croissant fourré aux amandes se joint à l’appel.
Après une enquête au fin fond de mon être, je découvre la cause de mon mal : l’isolement imposé, choisi par obligation, par devoir. Un mal a pris d’assaut toutes les chaines télé pour semer la terreur : j’en ai même fait un cauchemar hier. Un maudit virus a accompli l’impossible. Il a isolé le monde, séparé des familles et tué des gens aimés. Ce mal m’a, nous a confinés chez nous.
Les courses deviennent une échappatoire, mais impossible de ne pas y penser, la peur de le choper. Sortir la poubelle n’a pas d’intérêt puisque, résidence fermée, aucune chance de voir un voisin pour dire bonjour, papoter… tous n’ont pas eu le réflexe de quitter la ville.
Qu’importent le jardin, les fleurs, les oiseaux et les ronronnements de son chat quand on perd la liberté de sortir, quand on se sait coincée ? Cette situation particulièrement singulière joue sur le moral. Toutefois, l’être humain est un caméléon capable de se modeler selon toutes les formes et d’épouser tous les moules. Alors, frayons-nous un chemin dans ce tunnel sombre, car la lumière ne tardera pas à nous éclairer le chemin.
Je chercherai cette envie, toujours en moi, d’aimer, d’avoir et de faire plaisir à ceux que j’aime, par un baiser, une caresse, un câlin, un mot doux ou même un café avec un gâteau renversé aux poires et caramel, façon Tatin.
Surtout, je tenterai, non je me battrai, pour me trouver un moment rien qu’à moi et à cette thèse chérie, ce défi ultime, preuve tangible de ma persévérance. Ce sera en écoutant la Spring Waltz de Chopin, au milieu des rires, et des cris de mes enfants, au milieu des déjeuners et des goûters à préparer encore et toujours, avec amour… des fois, ce sera aussi avec ce mari sensible à mes idées qui remettent en question les fondement d’une société purement injuste envers les femmes. Disons-le : les normes et les valeurs de genre, intériorisées, ont la peau dure !
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