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Le besoin d’intimité

Quand je demande comment se passe le confinement autour de moi, des personnes confinées seules, avec des ami·es ou en famille me répondent « je vais bien, mais j’ai besoin de câlins, d’affection ». En somme, d’intimité. Je réalise que dans la vie quotidienne, avant que ce confinement soit annoncé, la plupart des personnes n’exprimaient pas leurs besoins d’affection, moi comprise.

Au début de ce confinement, ce n’était pas le manque d’affection que les personnes mentionnaient, ils/elles mentionnaient plutôt leur libido. Ils/elles ne savaient pas comment faire pour passer des semaines sans pouvoir avoir de relation sexuelle. C’était source d’angoisse.

Une fois confiné·es, il n’y avait plus qu’une personne pour combler cette angoisse, ce besoin qu’on pensait uniquement sexuel : nous-mêmes. Comment fait-on pour pouvoir se procurer du plaisir sexuel en tant que femme, sans partenaire, dans une société qui a considéré pendant longtemps la masturbation féminine comme une pathologie, quelque chose de sale, une société patriarcale qui considère le plaisir féminin comme secondaire face au plaisir de l’homme dans une relation hétérosexuelle ? 

Considérant qu’il a fallu attendre 2016 pour enfin avoir une représentation en trois dimensions de l’organe bulbo-clitoridien ou que le clitoris a été mentionné pour la première fois en 2017 dans un manuel scolaire en France, la sexualité qu’on nous présente est bien trop souvent phallo-centrée. Je pourrais encore mentionner beaucoup de raisons pour lesquelles, à mon avis, avoir une sexualité épanouissante en tant que femme, sans partenaire, est compliqué. C’est compliqué d’abord car la plupart des jeunes filles, femmes ne connaissent pas leurs propres corps. C’est également compliqué en termes d’investissement de temps, émotionnel, de bienveillance envers soi-même. Et surtout, de déconstruction autour de l’idée que la masturbation est liée à la honte, la saleté, de pouvoir la considérer comme étant partie intégrante de notre sexualité, de notre plaisir. Ce n’est pas techniquement compliqué, mais on nous l’a fait croire. Il faut s’autoriser à explorer cette facette de la sexualité.

Cependant, on voit les choses évoluer. Des pages Instagram féministes et militantes françaises, postant du contenu d’éducation sexuelle sont de plus en plus influentes. On peut citer parmi elles Jouissance.club, Orgasme_et_moi, lecul_nu , gangduclito, clitrevolution, jemenbasleclito qui rassemblent entre 48 000 et 604 000 abonné·es. Ces pages permettent de véhiculer des informations sur le corps, la sexualité, le rapport à soi-même et aux autres. C’est personnellement via ces comptes Instagram que j’ai pu apprendre énormément sur mon anatomie et mon plaisir. Vous y croyez, vous, qu’à l’heure actuelle ce sont des pages Instagram qui répondent à un vide d’information qui n’est pas fournie par l’éducation scolaire traditionnelle ?

C’est sur le compte Orgasme_et_moi que j’ai pu lire de nombreux témoignages de femmes de ce confinement. Seules chez elles, elles ont pris le temps de s’explorer, de trouver ce qu’il leur faisait réellement plaisir, de se connaître, de se faire jouir, sans avoir besoin de quelqu’un d’autre. 

Je considère la masturbation comme un acte d’émancipation, de libération, de prise de contrôle sur son corps ; pouvoir se faire jouir seule, sans avoir besoin d’une tierce personne, je trouve ça puissant. J’ai également vu dans un article que la vente de sextoys en ligne avait explosé. Je pense à toutes ces femmes qui sont en train d’apprendre à s’aimer, s’accepter, en train de se découvrir dans leur sphère la plus intime, d’explorer leurs corps. Je trouve ça fort.

Aujourd’hui, cela fait plus de 3 semaines que nous sommes confiné·es et, lorsque je redemande à mon entourage ce qui leur manque, leur principale préoccupation tourne autour, non plus d’un besoin libidinal, mais plutôt d’un manque d’affection et d’intimité. Comment se fait-il que les angoisses soient passées d’une inquiétude uniquement sexuelle à un besoin d’affection ? Comment se fait-il que malgré la possibilité de se satisfaire sexuellement, nous avons toujours le sentiment d’un besoin de l’autre ? Pourquoi notre besoin d’affection, d’intimité dépend-il forcément de quelqu’un ? Pourquoi ne pouvons-nous pas nous suffire à nous-même ?

Et c’est là que je n’ai pas de réponse. J’ai souvent cru que ce besoin d’avoir des partenaires sexuel·les était purement physique. Je ne l’avais pas dissocié d’un besoin de l’intimité, d’affection, de tendresse. En commençant à me masturber, je pensais ne plus dépendre de quelqu’un d’autre, que je me suffisais à moi-même. 
Le confinement m’a fait prendre conscience de quelque chose : ce qui me poussait à avoir des relations sexuelles n’était pas un désir simplement libidinal mais répondait à un besoin d’attention, de caresses, de câlins, de contact.

Comment pouvons-nous nous suffire à nous même alors que nos besoins dépendent de quelqu’un ? Comment pouvons-nous vivre seul ? Ces réponses je ne les ai pas. Mais ce que je sais, c’est que le rapport à notre corps, notre intimité et notre sexualité a été bouleversé par cette période de confinement, qui nous laisse en confrontation avec nous-mêmes.

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