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L’imagination déconfinée

« Refaire société autrement», « changer d’avenir », les propositions abondent depuis quelques jours. La période est extra-ordinaire et, malgré l’angoisse vertigineuse que j’ai de perdre les êtres qui me sont les plus chers, je parviens moi aussi à éprouver le désir de changement que je constate depuis quelques jours sous les plumes inspirantes de collègues, ami∙es ou journalistes. Ce confinement et le privilège que j’ai de pouvoir en profiter (je ne subis pas de violences patriarcales, seulement l’alourdissement de mes tâches de care) m’amènent à rêver à la fin d’un autre confinement qui dure depuis plus longtemps encore, celui de mon imagination. Parce que le matin, j’entends les oiseaux chanter au lieu d’entendre le bruit des avions et parce que le Bois de la Cambre est désormais fermé au trafic et que je peux y apprendre à mon enfant à rouler à vélo, j’aspire à plus d’espaces publics, de silence et d’air pur et je ne comprends pas que je m’en sois laissée priver si longtemps. Parce que pour certain∙es, cette crise est l’occasion de poser des gestes inédits – ne fut-ce que frapper à la porte d’une voisine pour lui proposer de l’aide ou jouer de la cornemuse à la fenêtre pour adoucir l’isolement - j’aspire à filer cette impulsion réciprocitaire jusque dans l’autre 21ème siècle, celui qui nous attend sitôt la crise finie, pour y re-former des collectifs et des nouvelles solidarités. Parce que l’alea que représente le covid-19 médiatise le paradoxe criant de l’importance des métiers de la reproduction sociale pour la survie au virus et l’intolérable indigence de celles qui les exercent, j’aspire à une organisation féministe de l’économie où les femmes reçoivent un salaire et des droits leur assurant une pleine autonomie. C’est bien l’aspiration à une autre existence qu’inaugure ce début de semaine, un désir intime rendu à la vie par la découverte de ces quelques brèches, au beau milieu d’un désastre sanitaire et en pleine quarantaine collective. C’est de la somme de tels désirs qu’a émergé, au XXème siècle et en pleine guerre, un projet concret de sécurité sociale, source d’une transformation majeure – quoiqu’incomplète pour les femmes. Et c’est en espérant être à l’unisson d’autres voisin∙es qui auront l’audace de dire « plus comme avant » que j’applaudis tous les soirs au-dessus d’une rue vide dont je ne veux pas qu’on oublie que, le 8 mars, elle résonnait des slogans de toutes nos colères réunies. Les mécanismes redistributifs mis en place au siècle passé, du moins ce qu’il en reste, sont notre plan de sauvetage actuellement, le seul sur lequel celles et ceux qui ont déjà perdu leur emploi peuvent compter. L’après va être terrible, bien pire qu’en 2008, et j’ai la sensation qu’on est à peine au milieu du gué. Mais je ne peux ni ne veux revenir en arrière. Alors chercher les brèches – même microscopiques - dans cette expérience de confinement, se demander sans aucun sentiment de culpabilité ce que l’on veut emmener ou, au contraire, laisser derrière soi, pourrait bien nous rendre un peu de notre imagination et nous aider à bâtir demain des arrangements institutionnels innovants où nous toutes (et vraiment toutes) devrons avoir notre mot à dire. Sauf que… les indispensables métiers dits féminins, invisibles hier, visibles aujourd’hui, seront-ils à nouveau dé-visibles demain ? Comment ne pas nous faire oublier ? Une pétition ? Un tissu, foulard, drapeau mauve avec nos revendications sur une de nos fenêtres sur rue? Les façons de (nous) manifester collectivement vont aussi avoir besoin de notre imagination. Heureusement, le mouvement féministe n’en a jamais manqué ! 

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