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« Loin des yeux, loin du cœur »

« Loin des yeux, loin du cœur », disait-on. À l’aube du confinement, tu m’avais quittée par téléphone. La tristesse appuyait sur mon sternum, la cage thoracique broyée, à chaque respiration c’était bagarré.  On s’était pourtant revus quelques fois, s’embrassant et faisant l’amour comme des amants. Mais, à l’appel du virus et de la mort qui se propageait sur tous les continents, nous nous sommes confinés. Malgré l’envie irrésistible de nos corps voulant s’emmêler l’un à l’autre, nous étions finalement séparés.   « Loin des yeux, libidineux ». Au début, nous étions retirés chacun chez soi, tels un ours dans sa tanière et une loutre dans son terrier. Tout a commencé par une simple question à laquelle tu as répondu immédiatement, fait inhabituel pourtant. Et là, sous nos yeux, s’est déployé une parade amoureuse par sms où l’on faisait l’amour chaque matin, on s’envoyait des tuyaux culturels la journée et on s’appelait complètement ivres en soirée. C’était devenu ça,  partager . Parfois, on
Articles récents

Le genre des frontières

Je termine, avec 4 mois de confinement, 7 années d’expatriation. 7 années où j’ai fait de nombreuses navettes aériennes pour rentrer en Belgique, pour le travail ou pour des vacances. J’ai voyagé régulièrement (parfois hebdomadairement) entre l’Afrique du Nord et l’Europe, mais aussi au sein de l’Europe. Cette aventure s’achève concomitamment à la crise du covid-19 et je suis soulagée de rentrer en Belgique, car la vie des personnes expatriées (comprendre des personnes qui résident de manière transitoire dans un pays tiers) a drastiquement changé avec la fermeture des frontières. Quand on est voyageuse régulière, on adopte vite les codes du voyage et on reconnaît ses pairs, notamment à nos privilèges ou à nos tenues. Quand, au sein de l’Europe, on voyage de ou vers Bruxelles, on côtoie, dans l’avion ou dans les lounges, des employé · es d’organisations internationales, des diplomates, des personnes travaillant dans la finance, des lobbyistes… C’était, pour moi, un reflet de mon mon

Amour, tempête et confinement

Je te promets de t’oublier, je te promets d’étouffer le reste de cette étincelle en moi, trace de mon amour pour toi. C’est fou ce que les sentiments peuvent basculer d’un extrême à l’autre rapidement sans faire de bruit, mis à part celui d’une dispute le temps d’un confinement subi. Je te promets de me ressaisir pour moi, pour mes enfants, nos enfants et pour cette femme encore très jeune : moi ! Qui ne mérite pas de survivre mais vivre pleinement sa vie même sans toi !  Je n’arrive toujours pas à comprendre comment tu peux être aussi injuste, aussi dur envers moi, face à elle, confinée avec nous pendant des mois déjà ; je comprends qu’elle t’ait donné la vie, que tu lui sois reconnaissant, que tu l’aimes beaucoup, je comprends, crois-moi ! Mais ce que je ne comprends pas, c’est que tu acceptes tout le mal qu’elle m’a fait, le temps d’une soirée, pendant un diner. Ses paroles blessantes, arrogantes, implicitement insultantes me laissent sans voix, mais encore faut-il que je le r

Risques psychorona-sociaux, la santé au (télé)travail

L’humaine plane, portée sur les crêtes de montagnes russes par le son de sa propre voix. Elle ne saurait plus dire à quel moment sa tirade a commencé. Elle la poursuit d’un ton pénétré. Il lui semble qu’il est vital de réclamer une plus longue réflexion de fond, de demander des précisions méthodologiques. D’exiger une scrupuleuse prudence à l’heure des arbitrages, de plaider pour une nouvelle consultation à tous les niveaux de l’organisation. Ses deux enfants, impatients, font jouer la poignée de la chambre où elle s’est enfermée il y a trois heures, au début de la deuxième réunion virtuelle de la journée. Les voici, « maman, maman », qui l’entourent, tirent sur son jean, tentent de s’emparer de ses bras. L’humaine leur adresse des caresses mi-tendres, mi-distraites. Ce faisant, elle lutte pour ne pas s’interrompre, alors qu’une partie d’elle-même, au bord des larmes d’avoir constaté, une fois de plus, que son mari ne prendrait décidément jamais sa part du travail parental, a

« Putain. Je suis enceinte »

« Putain. Je suis enceinte ».  Ce sont les mots que j’ai prononcés après avoir regardé les résultats du test, complètement incrédule. J’y croyais pas. Je n’y crois toujours pas. Je ne suis pas faite pour être enceinte. La maternité ne me sied absolument pas. Et pourtant. Une barre sur le T. Une barre sur le C. Puis rien ne s’est passé comme je le pensais. Je ne me suis pas noyé·e dans des pensées liées au possible d’être mère, d’avoir une vie toute autre, d’avoir l’opportunité de créer quelque chose à plusieurs, de révolutionner le concept de famille. Je n’ai pas sombré dans des tourments liés à l’avortement, de réduire à néant le développement d’un possible humain, promis à de grandes choses ou à de grands frissons, avec qui j’aurais pu bâtir une relation unique. Je n’ai pas été traumatisé·e à l’idée d’aspirer « la vie » de mon corps. Rien. Serait-ce un mini trauma ? Je suis lasse. Je suis fatigué·e. J’ai besoin que ma vie se mette en pause, que je tente de me re

Ça va toujours

Les rais du soleil me lèchent le visage et je m’éveille doucement. De ses yeux rouges et accusateurs, le réveil sur la table de nuit me regarde. Sans doute m’en veut-il toujours de l’avoir éteint d’un coup de main somnolente. 10:23. Funambule noctambule, je marche sur le fil du sommeil, juste au-dessus d’un océan de culpabilité.  Tu ferais bien de te lever, fainéant . Le confinement a vraisemblablement bouleversé l’espace-temps car chaque journée, chaque heure, chaque minute, chaque seconde est similaire à la précédente. Moi, par contre, j’ai changé. Dans le dédale du confinement, mon corps confond la nuit et le jour. Un soleil lunaire et une lune solaire qui, tour à tour, se jouent de moi et de mon sommeil.  Lunatique.  Impossible de m’endormir  et  de me réveiller, je vis décalé… Symptôme de la chauve-souris. Ça vous rappelle quelque chose ?  Je suis perdu. J’ai perdu le compte des jours à rester loin de tout et de toustes. La grande nouvelle du déconfinement n’a absolument pas

Tante M ne répond plus

Un mardi sur deux, je tente ma chance. Je compose ce numéro, inchangé depuis des décennies, transféré depuis une vie de village de banlieue nantaise vers une vie en résidence urbaine pour personnes âgées : je téléphone à Tante M.  Tante M est la seule personne au monde que j’appelle « Tante-quelque-chose ». J’ai des tonnes de tantes par ailleurs, que j’appelle par leur simple prénom, mais Tante M est d’une autre génération, elle est la sœur de mon grand-père. Tante M a quatre-vingt-dix ans. Elle vit dans cette résidence depuis quelque mois, décision prise par la famille suite au décès de J.  J, elle, n’est pas quelqu’une qu’on appelle « tante ». Ah non non, « tante », c’est un titre réservé aux liens de sang et aux liens sacrés du mariage. Aussi, j’ai sept tantes validées par l’ADN, sept tantes validées par leurs unions sacrées avec mes oncles de sang, ainsi que deux ex-tantes dont j’ignore si ce système m’autorise à les considérer comme tantes, dès lors qu’un divorce les a r

Voyager en temps de coronavirus

Je venais d’arriver à Paris lorsque le président français Emmanuel Macron a annoncé le confinement massif de la population en raison de la pandémie du nouveau coronavirus. Paris était la quatrième destination d’un voyage que je faisais en Europe. Dans ma vie personnelle, j’ai essayé de retrouver mon équilibre après la fin inattendue d’une relation amoureuse à long terme. Autour de moi, le monde semblait en déséquilibre complet après l’invasion d’un être invisible et inconnu. Bien que je vivais un drame personnel, j’ai eu l’opportunité, avant la propagation du virus dans le monde, d’avoir une expérience importante pendant le voyage: être seul. Le voyage m’a permis d’être seul dans différents endroits, de marcher librement dans les rues, de m’arrêter pour observer les gens, de donner de l’espace pour ressentir différentes sensations et vivre des situations inhabituelles. J’ai vécu à Lisbonne, Barcelone et Londres au milieu de longues promenades effectuées en compagnie de moi-même.