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Enfin une bonne nouvelle !

Tu te promènes tranquillement dans les rues, de plus en plus vides. Cette situation te tourmente un peu plus chaque jour. Alors tu allumes ta cigarette mais bizarrement elle ne te goûte pas. Tu la jettes après quelques bouffées. Tu attrapes ton paquet de chewing-gum, tu en mets un dans ta bouche cependant il te laisse un goût amer. Étrange. En voyant une femme rentrer chez elle avec son sac de course, tu repenses à cet article de Au féminin, qui parle de ces meufs françaises qui ont reçu des contraventions pour avoir été chercher des protections hygiéniques. Ça te met sur le cul parce qu’à choisir entre du PQ et des tampons, tu prendrais la deuxième option. Pisser, tu peux le contrôler et le faire dans ta baignoire. Même en confinement, le monde a un problème avec les fluides corporels, en particulier lorsqu’ils jaillissent d’une chatte. La petitesse de ton existence te fait te sentir bien misérable dans cette énorme industrie capitaliste où les biens de première nécessité ne sont apparemment pas les mêmes que les tiens. Combien de jours de confinement déjà ? 23 ? Et tes dernières règles... c’était pas il y a plus d’un mois justement ? Et merde. 

Tu le sens le renforcement des inégalités : encore des personnes non-blanches qui se font arrêter par les flics, juste devant ta gueule. Les violences conjugales qui augmentent, le fossé entre les classes sociales qui se creuse, entre celleux qui vont bosser, celleux au chômage technique et encore celleux en télétravail, qui s’ennuient dans leur jardin. Et puis y a toi, qui vas à la pharmacie. Juste avant le début du confinement, t’as vu ce mec et t’as zappé les protections. Encore. Après, lui non plus n’y a pas pensé. Tu flippes. Et comme d’hab’, tu dois toi-même gérer ta contraception, ta santé et tes maladies sexuellement transmissibles. C’était sur ta liste d’ailleurs, de passer chez ton gynéco avant le confinement. Mais ce sera pour après. 

Tu entres dans la pharmacie, tu flippes toujours. Le pharmacien est debout derrière son comptoir avec ses gants. Tu demandes un test de grossesse, s’il vous plait. Enfin une bonne nouvelle, c’est ce qu’il te répond avec un grand sourire qui déborde de son masque. Et toi, tu regardes tes pieds parce que, non tu n’as pas de symptôme, non tu ne penses pas être malade. Cependant, le bébé, il n’est pas au programme. Tu n’as pas les moyens et puis les conditions n’ont pas l’air idéales pour accéder à l’IVG. Pas encore, s’il vous plait. Tu ne lui dis rien, au pharmacien, parce que tu te doutes qu’il a dû en voir des choses aujourd’hui. Cependant, tu crispes parce que tu penses à cette sacro-sainte maternité qui te colle à la peau et à laquelle tu essayes d’échapper depuis maintenant plusieurs années. Tu ne peux pas t’empêcher de penser à ta sœur qui culpabilise parce qu’en ce moment, elle a vraiment l’impression d’être une mauvaise mère. Le poids de la société entière pèse sur ses épaules et la pousse à remettre en question son « instinct maternel » et ses capacités éducatives. Et toi qui essayes de la rassurer. Comment ne pas se sentir dépasser, surtout lorsqu’on est mère de jeunes enfants.

Tu attends le lendemain matin ; le pipi à jeun est plus révélateur. Tu la connais la procédure, cette routine, debout au-dessus des chiottes de ton appartement, la boule au ventre, en train d’orienter ton jet de pisse sur un centimètre de bout de plastique. Il n’est même pas 7h, premier pipi ; t’as déjà tout déballé, tu ne voulais pas te faire cramer dans ta colloc’. Tu t’en mets sur les doigts. Tu te demandes si c’est toi qui n’es pas habile ou s’il s’agit d’une maladresse universelle. Peu à peu, tu sens ton monde vaciller, se décomposer sous tes yeux. Les minutes passent lentement. Comment se terminera ce confinement ? Tu ne peux pas t’empêcher d’avoir une pensée pour toutes ces personnes confinées, coincées, qui galèrent, qui chialent, qui se masturbent dans leur douche, qui baisent dans leur salon, qui accouchent ou qui crèvent dans des hospices remplis. Dans le contexte actuel, ta situation te parait si dérisoire. L’anxiété se développe dans tes entrailles en te voyant dans le miroir, culotte baissée, une sorte de thermomètre à la main. Tu finis par baisser les yeux et... une barre. Yes ! C’est déjà ça que le confinement n’aura pas.

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