Voilà que je reprends ma plume. Partager avec vous ce vécu de l’intérieur, du côté des soignant·es m’avait vraiment fait du bien : une bouffée d’air alors que je suffoquais. Écrire et sentir que je ne me trompais pas, que je n’exagérais pas, notamment en lisant vos réactions. J’avais espéré une révolution féministe dans le care, j’avais invité nos frères à prendre la relève, j’avais pensé qu’un après aurait lieu. Les femmes trop épuisées pour se lever et se battre, il allait falloir dégenrer la lutte, déranger les zones de confort. Toujours en colère, toujours impuissante, je reprends ma plume, la parole en guise de résistance, de résilience ? Une boule dans la gorge quand même. Une manière de me donner une capacité d’agir là où je me sens fragile. Aujourd’hui, je vous réécris. L’après est là, tout près de nous et dans quel état…
On ferme ! Là où on devrait se réjouir, je me retrouve avec une équipe à genoux, humiliée, triste, presque confuse. Ça y est : on ferme. C’est violent.
L’unité COVID à laquelle j’ai été réaffectée il y a presque 7 semaines comme psychologue, faite de bric et de broc mais surtout constituée de personnes humaines, qui n’étaient pas forcément prêtes, pas forcément « armées » pour assurer, assumer toutes les tâches qui leur ont été demandées. Elles ont formé une équipe, aussi diverse que variée, des professionnelles soignantes venues de toutes les parties de l’hôpital, parfois bénévoles. Elles se sont encouragées, soutenues, motivées. Elles ont parfois dû apprendre un nouveau métier, de nouvelles techniques. Elles ont été confrontées à la mort sans deuil, à la mort froide et brutale. Elles ont aussi accompagné de nombreuses personnes vers la sortie, le retour à la vie, la guérison, avec beaucoup de chaleur et d’admiration pour celui ou celle sur le·laquel·le on n’aurait pas misé beaucoup. Elles ont travaillé la nuit, le week-end, elles ont fait une croix sur les congés prévus, elles ont reporté leur mariage, un baptême. Elles sont allées dormir à l’hôtel plusieurs nuits ou se sont séparées de leurs enfants depuis le début de la pandémie. Elles ont ri aussi, oh oui ! Et comme ça faisait du bien. Elles ont été acclamées, elles ont reçus des bons petits plats, des glaces, des chocolats… mais pas de masques.. ah ça non…
La pandémie est ralentie, mais jusqu’à quand ?
Aujourd’hui, on ferme. Et on se tait. Je n’applaudis plus.
On aimerait dire : on se lève et on se casse. Mais non. On ferme l’unité et on ferme sa gueule. Demain, cet après-midi parfois, il faut aller en renfort dans d’autres services. Et ce ne sont même pas des services « covid » ! Juste aller en renfort. Peu importe les qualifications : « tu as un diplôme d’infirmière, tu peux le faire ». Même pas un temps de répit. Même pas le temps de se dire au revoir. Même pas le temps de comprendre ce qu’il se passe. Les voilà déjà réaffectées ailleurs, une autre équipe, d’autres habitudes, d’autres types de soins. Spécialisée en pédiatrie, elle se retrouve en gériatrie.
Cette fois-ci, la réaffectation est beaucoup plus difficile à encaisser. Il n’y a plus l’aspect combatif envers la pandémie, le sens du devoir, l’héroïsation, il y a juste la nausée et le sentiment de n’être rien, un pion. Même plus de prime en vue !
On ferme, elles pleurent.
Ce n’est pas physique. L’épuisement n’est pas vraiment ressenti dans le corps, pas spécialement besoin de prendre des congés. En revanche moralement… il n’y a plus d’envie. « N’allez pas dire aux élèves de rhétos de suivre la filière « infirmière », ce n’est plus un métier ». Aucune valorisation. Aucune reconnaissance. Plus de passion.
On ferme. Et on redémarre. Comme si de rien n’était. En attendant la prochaine vague.
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