Il fait doux, presque chaud à l’abri des murs du jardin. Je suis allongée sur un transat acquis de haute lutte, c’est mon « temps calme » de la journée, un vœu pieux avec deux jeunes enfants qui creusent une toilette sèche - sans sceau ni sciure - à côté du compost. Il faut choisir ses combats. Je veille à ma santé mentale et à leur immunité, moins à nos bonnes relations de voisinage. C’est mon tour de veiller sur notre progéniture, mon conjoint et moi travaillons en alternance, en fonction de nos réunions virtuelles respectives. Ma boss a d’ailleurs du mal à retenir que je suis pas disponible en début d’après-midi, soupir.
Je somnole, un vent léger tourne sur la terrasse et vient me rappeler une sensation enfouie, presque oubliée. Celui de mes poils doucement caressés par temps chaud et venteux. Voilà qui me renvoie à mon adolescence ou à mon enfance, je ne sais pas, je ne sais plus. Mais je savoure ce plaisir un brin coupable. Pourtant, je pratique une hibernation épilatoire depuis plusieurs années, une décision installée peu après la naissance de mon aînée, autant par conviction féministe que par manque de temps, quand il faut revenir à l’essentiel et qu’être lavée en fin de journée est une réussite. Des poils longs de deux bons centimètres sous un jeans, des collants ou des bas.
Je sais déjà qu’à ma grande lâcheté, je n’oserai probablement pas retourner au bureau jambes nues et pilosité hâlées. Ce qui me désole. Pourtant je les arbore sinon fièrement au moins sans honte en forêt de Soignes, sur mon vélo, à la boulangerie, en balade avec les enfants, chez notre maraîcher. Me revient alors ce souvenir désagréable, un regard sur mes aisselles au naturel au mariage d’une amie proche l’été caniculaire dernier, du dégoût passée la surprise. Je me suis sentie sale dans les yeux d’un type pourtant a priori plutôt sympa et à travers lui ramenée, voire réduite, à cette injonction que je réfute.
J’aimerais avoir le cran d’assumer ce choix, pour m’y aider j’ai envie d’imposer un cours sur les normes en matière de pilosité à toutes et tous dès la 1ère secondaire, non sur les injonctions faites aux corps des femmes, non sur les normes de genre, non sur les rapports de domination... A la place des dérivées à deux inconnues par exemple. Puis je me rappelle que l’école est fermée jusqu’à une date indéterminée.
Je sais pourtant le combat politique d’aller aux thermes en périphérie flamande avec un pubis foisonnant. Face à un public inconnu, j’assume mon corps tel qu’il est, dans l’intimité aussi, mon amoureux a l’intelligence de ne pas accorder d’importance à un détail aussi futile et de questionner ses évidences quand ses représentations sont bousculées. Et j’aimerais tant que ma fille et mon fils considèrent comme normal - physiquement et socialement - que les corps féminins aussi soient velus.
Adolescente pourtant je n’aimais guère les quelques poils clairs sur les aisselles de ma mère en été, comble de l’ironie, j’ai hérité de ceux de mon père, noir de jais. Je la remercie pourtant de la liberté qu’elle m’a transmise, consciemment ou inconsciemment, à travers un usage intermittent d’un gant de crin d’âge canonique sur ses jambes, à peu près aussi fréquent que celui du fer à repasser sur les très rares pièces indéfroissables autrement. Je regarde les jambes encore quasi imberbes de ma fille diaphane, j’aimerais tellement qu’elle les regarde avec plaisir et tendresse tout au long de sa vie.
À ce stade de notre tentative d’éducation bienveillante notamment à l’égard du corps, nous n’en sommes pourtant encore qu’à déjouer les « gros caca », « petit bébé » ou « vieux carcajou » des enfants, immédiatement suivis d’un « hoho » par mon fils du haut de ses quatre ans qui nous cherche des yeux en riant sous ses cheveux hirsutes, façon Paul McCartney, faute de coiffeur.
Voilà le papa des loupiot·es, Webex m’attend... le télétravail, outil d’émancipation féminine ou cache-misère pileux ?
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