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Pas de chambre à soi

- Tu peux ne pas trop me baver ?, m’a-t-il demandé.      

         

Ou bien c’était plutôt « ne me bave pas trop », je ne sais plus exactement, mais les verbes pouvoir et baver associés à un dégoût ont été prononcés. Là pour moi c’était déjà fini, je suis trop susceptible, je sais, mais j’aime bien quand ça bave et qu’il ait demandé comme ça, cassant la spontanéité  des gestes... En plus ce n’était même pas en exprès, je n’ai même pas compris sur le moment quelle partie de son visage j’avais léchée ou plutôt « bavée », comme l’a-t-il dit dégoûté. Était-il vraiment dégoûté ou étais-je d’un coup dégoûté de moi-même de l’idée qu’il puisse me trouver dégoûtant ? C’est fatigant.  

Mais j’en avais encore envie et le sexe en couple, surtout le nôtre, surtout en confinement, est toujours plus complexe, plus spontané et plus serein que ce que l’on ne pense, j’en avais encore envie et tout cela que je vous écris a évidement été écrasé et compacté et emballé et sublimé dans ce mot chrétien merveilleux, ce mot point-virgule pour indiquer qu’on veut bien continuer malgré tout :          
   

- Pardon.

- Pas grave.


On continue à se caresser malgré le fait qu’il ne bande pas et je finis par me dire: « c’est la culotte ». Peut-être qu’il était fragile, peut-être qu’il n’avait pas envie de « sexe sale » ce soir-là, peut-être qu’il s’était déjà branlé pendant son insomnie et que ça lui suffisait pour la journée. Peut-être. 
J’enlève ce string noir qui me donne un air d’acteur porno des années 1970, on se couche, il rompt de nouveau le silence :

- Désolé, ça ne marche pas trop.

Et là c’est mon tour :

- Pas grave.

À ma surprise, il continue : « Mais on peut jouer avec toi ».

Il me suce formidablement, toujours aussi bien. Mais je n’ai pas envie de jouir comme ça, je n’ai pas envie d’être masturbé non plus, il comprend, on se reconnecte, il comprend mon langage corporel, il se met à me lécher l’anus, tout en touchant mes tétons. Ça m’excite beaucoup, il sait ça, il me connaît, il sait combien j’aime ça, combien j’ai appris à l’aimer et même à découvrir cette zone érogène tabou. Je mouille mon sexe avec ma propre bave (j’aime quand ça bave), je jouis dans un temps record, presque machinalement, presque comme un adolescent qui fait un rêve érotique, presque gêné : cette jouissance de qui ne s’est pas masturbé depuis des semaines, car nous sommes confinés à deux avec notre chat et que je n’y arrive pas.

Quelle tristesse jouir sans jouissance.

Et il n’y est pour rien, je suis surtout déçu avec moi-même.

Ce confinement m’aura permis de confirmer d’une fois pour toutes l’importance de se donner plaisir à soi, même étant en couple, d’explorer son propre corps, découvrir son plaisir à soi, sans qu’il repose systématiquement sur l’autre aimé·e. La préciosité de la solitude sexuelle bien profitée. La valeur de mes petits pornos que je ne vois plus depuis bientôt un mois, comme des potes qu’on abandonne. Pour se masturber, il faut aussi une chambre à soi.         

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