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Torchon d’une confinée

Torchon parce que le « journal d’un·e confiné·e » me désole. Nous sommes inondé·es des vociférations d’éditorialistes, des recettes de cuisine homemade, des élucubrations des célébrités dans leur jardin ou dans les rues vides (clin d’œil à Arielle Dombasle) et des conseils de « libération intérieure » (clin d’œil à l’auto-proclamé bouddha Robert, je suis certaine que vous en avez un dans vos amis). Quel cauchemar, sérieux, tout le monde nous dit ce que l’on doit faire et, bien évidemment, comment être malgré tout productif·ve. Heureusement, il y a aussi des vidéos de chats et ce blog, que je lis tous les soirs :-) 

Torchon parce qu’il risque de brûler. Ma colère gronde, je la sens. Au départ, j’étais abasourdie par la situation. Je n’arrivais pas à travailler (je répondais mécaniquement aux mails), je n’arrivais pas à réfléchir ni à penser, j’essayais de contenir ce qui pouvait l’être (ce qui n’était déjà pas si mal). Puis, progressivement, je me suis apaisée, j’ai essayé de « profiter » de ces moments, de ce nouveau temps, en tant que confiné·es (oui 4 enfants sont confiné·es avec moi). Tout en étant terrifiée à l’idée que bien d’autres, essentiellement des femmes, continuaient à travailler dans des conditions ahurissantes, sans aucune protection, pour un salaire dérisoire, tandis que d’autres avaient perdu toute rémunération, des petits commerçant·es ou des artistes aux travailleur·ses du sexe, sans même parler des sans-abris et sans-papiers dans les rues et de celles et ceux qui se retrouvent enfermé·es dans les prisons ou les centres de détention pour étranger·es. 

Et ces gouvernements qui ne gèrent rien, qui se volent des masques, se trompent de commande (sérieux ? Ce serait rocambolesque si ce n’était tragique), laissent mourir les aîné·es dans les maisons de repos (plus de 40% des décès) et en profitent souvent pour restreindre les libertés (prendre les pleins pouvoirs, clin d’œil à Orban) et bien sûr les droits des femmes et des minorités (restriction de l’IVG, des droits des trans, en particulier dans les pays où les sorties sont conditionnées au sexe de naissance), à part le Portugal qui a eu l’intelligence de régulariser tous·tes les sans-papiers (même si c’est provisoire). 

Maintenant, je commence à ressentir de la colère. Un jeune de 19 ans, Adil, est mort, percuté par une voiture de police. Mawda, c’était il y a 3 ans. J’étais allée aux funérailles publiques, j’avais serré la main des parents et vu leur regard, que je n’oublierai jamais. Le mien devait être alors plein de tristesse et de honte. J’ai à nouveau honte aujourd’hui. Honte d’être dans un pays où de 500 à 1000 (je ne sais plus où on en est, j’essaye de ne plus regarder les chiffres pour préserver ma santé mentale) personnes meurent chaque jour, la plupart seules et ce, rien qu’en Belgique ! Les fosses publiques ont été réouvertes à New York. Honte quand ce sont toujours les mêmes qui trinquent, femmes et trans, raclés·es, précaires. Manque de dépistage, manque de lit, manque de matériel de protection. Tout cela dans l’un des pays les plus riches au monde... Cela fait des années que le monde médical alerte sur le nécessaire refinancement structurel, tout comme ceux de la culture, de l’éducation ou de bien d’autres. Et les universités, faut-il en parler ? Nous sommes aujourd’hui censées développer « l’enseignement à distance », avoir et maîtriser les outils informatiques, avoir une bonne connexion internet, une « chambre à soi » et, au-delà de tout ça, avoir l’espace-temps pour le faire, pour se concentrer. Moi personnellement, je ne suis pas à plaindre. Mais, à votre avis, qui va payer en priorité ? Quelles inégalités sont et seront exacerbées par ce virus, ou plutôt sa gestion politique déplorable ? Qui va devoir payer, trimer, endosser les coups, mourir ? Un médecin vient de révéler que les personnes avec handicap non autonomes ne seraient pas prioritaires en cas d’hospitalisation ! Des trois professionnel·les de santé décédées en région bruxelloise depuis le début de l’épidémie, deux sont des femmes afrodescendantes, l’une aide-soignante dans une maison de retraite à côté de chez moi, l’autre infirmière en hôpital. 

Aujourd’hui, dans d’autres circonstances mais dans le même contexte, Adil est mort. Ce n’est pas une conjoncture, c’est une structure. Un système patriarcal capitaliste racialiste hétéronormatif validiste. 

Aujourd’hui, Le torchon pourrait bien brûler. Il est déjà cramoisi. Alors que pouvons-nous faire ? Comment sortir de là, comment allons-nous « déconfiner » sans devoir plier sous la « rigueur » à laquelle ils (la cellule de gestion de crise est surtout composée d’hommes) songent déjà ? Je ne sais pas... J’arrive déjà à écrire à nouveau, mais je ne suis pas sûre d’arriver à bien réfléchir. Il me manque quelque chose de primordial: la discussion, le débat, l’esprit critique. Bref, la seule chose dont je sois sûre maintenant, c’est que nous allons devoir échanger, mettre en commun nos forces, nos intelligences, bâtir ensemble des ponts, des alliances intersectionnelles, des solidarités libres et réfléchies, où toutes celles et ceux qui peuvent et veulent contribuer à construire, du moins à penser un nouveau monde, exempts de ces rapports de domination (ou d’oppression/force/violence/exploitation/extraction/aliénation/exclusion/discrimination/stigmatisation/inégalité/pff) de genre, de classe, de race et de sexualité, dans nos sociétés et dans les rapports nord-sud (pour faire vite), soient les bienvenue·es! 

Ce n’est plus seulement une question d’égalité et de droits, c’est une question de survie, d’une biopolitique à la Foucault à une nécropolitique à la Mbembe. Avec la méthode de bel hooks. Je crois que nous allons devoir nous battre, côte à côte. Du moins, avec nos armes, nos plumes, nos têtes. Car cette rhétorique guerrière est infâme et déplacée. Elle ne sert qu’un ennemi politique, jamais naturel... Je ne saurais ni ne voudrais aller au-delà des plumes, je ne suis pas une guerrière. Je n’aime pas les coups et, il faut bien l’avouer, je suis trouillarde. Dans une manifestation, s’il y a des échauffourées, je pars dans l’autre sens. Par contre je peux admirer celles et ceux qui s’y adonnent, dans un geste de résistance, comme moyen d’exister et de se battre (clin d’œil à Dorlin). Dans tous les cas, on va devoir réfléchir. Car il faut bien se dire que le COVID19 n’est qu’un coup d’essai, qu’il y en aura d’autres de pandémies, plus virulentes et plus mortelles. La seule chose dont je sois sûre, face à cette merde (désolée je n’ai pas d’autres mots), c’est du bénéfice de l’intelligence collective. Il faudra la construire. Ensemble. Et vite !

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