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Maternité : quand le confinement accentue la douleur…

J’essaie péniblement de me concentrer sur le texte d’une étude scientifique alors que ma fille de trois ans chante à tue-tête en construisant une tour de Duplos à quelques mètres de moi. Je suis déjà ravie qu’elle joue seule depuis dix minutes et ne me tire plus la manche pour que je vienne l’aider. C’est la quatrième fois que je relis la même phrase sans la comprendre, impossible pour mon cerveau de la traiter. Le père de la petite dort au premier étage. Il a pris congé aujourd’hui, pour s’occuper de notre fille. Du coup, j’essaie de lui ménager un petit espace de repos. J’ai sorti le chien en intimant à ma fille de ne pas faire de bruit, parce que : « papa dort, il est très fatigué… ». C’est que je ne peux pas me plaindre, mon mari est un féministe bien qu’il ne se se soit jamais considéré comme tel… Il est conscient des inégalités entre hommes et femmes et estime qu’il faut tout faire pour les combattre ; l’idée qu’une tâche ménagère ne soit pas pour lui ne lui a jamais traversé l’esprit et, quand je le vois s’occuper de notre fille, je me dis qu’on ne peut trouver meilleure preuve que l’essentialisation des stéréotypes de genre relève de la bêtise la plus complète. Un claque au visage de Boris Cyrulnik à lui tout seul le mec. 

La vérité est que la parentalité lui va comme un gant alors qu’elle me pèse énormément…

Avec le confinement, mon rôle de mère s’est immiscé dans un de mes espaces de liberté les plus essentiels : le travail. Plus possible d’aller me « reposer au travail » comme j’avais l’habitude de dire. J’aimais employer cette expression pour décrire la liberté de mouvement, la flexibilité d’organisation et la sociabilité entre adultes que je trouvais au travail… Aujourd’hui, je pleure silencieusement la fin des délicieuses pauses-café passées à discuter de tout et de rien entre collègues, sans écran interposé. Maintenant me voilà constamment ramenée à mon rôle de mère qui s’infiltre dans tous les pores de ma peau. Au revoir toutes mes fenêtres de liberté, toutes mes bulles d’air. Même les e-peros sont susceptibles d’être interrompus par un : « Maman, je dois faire pipi ». Et en route pour le p’tit pot ! J’envisage un instant de prendre mon Apérol-Spritz avec moi mais, après réflexion, cette perspective est plus déprimante qu’autre chose. Il faut se rendre à l’évidence, me voilà devenue une professionnelle de la télégarderie (comprenez le mix entre télétravail et garde d’enfants). Maintenant émancipation rime au mieux avec « Peppa Pig » ou «Âne Trotro».

Mes collègues trouvent ma petite « adorable ». À la fin de la visioconférence qu’elle a interrompue une dizaine de fois malgré mes regards cinglants et mon index pointé devant dans la bouche dans une tentative aussi ridicule que désespérée d’obtenir le silence, je reçois 3-4 mails plein de  smileys attendris (je ne savais pas qu’il y avait tant de manières de signifier l’attendrissement au moyen de smileys -encore un enseignement du confinement…) qui me rappellent à quel point il est difficile d’assumer, surtout en tant que femme, un discours qui ne présente pas les enfants et la maternité comme merveilleux…  À peine ai-je cliqué sur « raccrocher » que j’envoie un mail à ma coordinatrice : « Je vais prendre congé demain après-midi pour m’occuper de ma fille ». La vérité légèrement différente : « je prends congé pour dormir parce que je suis épuisée de ne plus avoir un moment pour moi, en croisant les doigts pour que ma fille fasse une sieste ». Mais ces mots-là ne sont pas dicibles, alors je dis ce qui est attendu de moi. On me répond de « profiter de ma petite ». J’ai failli m’étrangler de culpabilité. Je me rends bien compte que le confinement ne fait que décupler une culpabilité genrée qui m’oppresse mais cette pensée ne m’aide pas. Je lis sur les réseaux sociaux le récit de mères qui trouvent magnifique l’occasion qui leur est offerte « d’être mère à temps plein », de profiter de leurs enfants, de prendre le temps d’être avec eux, de « revenir à l’essentiel ». Je m’en veux de ne pas ressentir cela, d’envier plutôt ceux qui n’ont pas d’enfants, ceux pour qui ce confinement est synonyme de temps pour soi…  

J’essaie de relativiser en me disant que je n’ai pas le droit de me plaindre. J’ai la chance d’être en télétravail et de pouvoir conserver mon salaire, la chance d’avoir un mari exceptionnel, la chance de ne pas être touchée par ce satané virus. Et pourtant…

Critiquer la maternité, évoquer la souffrance qu’elle peut causer était déjà un tabou dans le monde d’avant. Aujourd’hui ce discours est encore plus difficile parce que le confinement nous intime d’être fort, de « prendre sur nous », de relativiser l’ampleur de nos « petits problèmes personnels », de nous taire et de saluer les héros et surtout les héroïnes qui risquent leur vie chaque jour pour sauver les nôtres. Alors oui, je m’incline face à l’héroïsme des autres, et je choisis d’exprimer ma douleur… anonymement.

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