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31mars. Jour J.

Assise derrière le pc, dans le bureau/living/cuisine de mon appart. Même chaise, même table. Question mobilité, j’assure.

Pieds nus sur le parquet, vieux jeans, vieux pull. Pas de soutif. Pas coiffée. Pas lavée. J’ai coupé la caméra. Aujourd’hui encore, je ne serai qu’une voix.  

Les ados ont élu domicile chez leur père, avec les enfants de sa compagne, le chien et la console. On se voit quand on en a envie. Ça me va.

Pas d’amant de passage. Dommage. Envie de peau, de sexe, de fluides. Plaisir solitaire porte bien son nom.

Il fait beau. Il fait calme. Je respire.

Bosser. Se concentrer. Avancer. Problème de connexion… mes neurones aussi travaillent à distance. Les pensées s’égarent, s’évadent dans cet avant (crise).

Seuls me manquent ces jours où se perdre dans la foule était autorisé. Observer. Sentir.  Entendre. Des gens. Des sons. Des odeurs. S’immerger dans ces espaces autres. Faire partie de. Pour un instant.

L’envie d’aller vers. Le besoin de rester dans. Porter le regard au dehors. Vers là-bas.  Ailleurs.

Il fait beau. Il fait calme. Le ventre se tord. Les larmes coulent.

Cette annonce du confinement. La rage. La haine presque. Penser à ceux qui vont crever.  Mais pas du virus. Vrillée sur place.

Quand le corps sait qu’il risque sa peau. Quand il se souvient. Ces violences, ces viols conjugaux. Durant 10 ans. Quand l’esprit disjoncte et fait sauter les plombs.

Ces conditions, souvent pires que les miennes, des milliers d’autres femmes les vivent chaque jour. Le quotidien est déjà une question de survie. Parce qu’il n’y a pas d’endroit où se cacher.  Il n’y a pas de répit et pas de repos.  

Être confinée avec « lui », c’est être sous surveillance h24. Être sous contrôle h24. Être sous les menaces h24. Lorsque le seul moment de répit est celui où « il » a joui. Où il la voit souffrir.  Où il se sent maître de sa chose. Le lâche…

Il s’endormira. Elle pas. Elle ravalera tout : sa souffrance, son dégoût, elle ne les sentira peut-être même pas. Elle pensera déjà à la suite. Comment tenir.  Comment protéger les enfants. Pour qu’ils ne voient pas. Ne sachent pas. C’est du moins ce qu’elle espère.  

Elle se sent seule. Coupée du monde. Coupée d’elle-même.   

Trouver la force de partir ne suffit pas. Il faut trouver celle de ne pas revenir. Tout est à « lui ». Elle n’a plus rien. Pas même son entourage pour la soutenir. Ce qu’elle vit lui semble. Est. Inaudible, irrecevable pour beaucoup.  

La pression est forte pour la voir rentrer au bercail. D’ailleurs, « il » veille.  Parce que partir, ce n’est pas « le » rayer de la carte. C’est vivre avec l’ennemi devant sa porte.

Si aujourd’hui je pleure encore. C’est de tristesse. D’impuissance. Face à ces souffrances silencieuses. Réduites au silence. 

Si j’écris, c’est pour exprimer cette réalité. La rendre visible. Que les regards s’y posent. Ne se détournent plus. Ignorer ne peut être qu’un prétexte.

Je suis chez moi. Bien au chaud, assise derrière ce pc. Libre. En sécurité. J’ai livré des batailles. D’autres m’attendent. Comme tout le monde. Je n’ai plus peur. J’ai déposé mon fardeau.

Choisir de vivre, consciente de la finitude, de la vacuité de la vie. Un chemin qui nécessite de se libérer. De soi-même cette fois. De faire confiance. S’ouvrir à d’autres. Un défi salutaire. Un corps à corps intime.

Il fait beau. Il fait calme. Je respire.


Une femme quelque part.

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